Tara Brach : "L’autocritique est la maladie de notre monde contemporain"
Retrouver l’estime de soi et en finir avec cette haine qui nous empoisonne.
Dans
L’Acceptation radicale, Tara Brach propose un antidote à l’autodénigrement.
Parallèlement à sa carrière de psychologue clinicienne,
Tara Brach enseigne la méditation aux États-Unis depuis plus de 35 ans.
Tara incarne la rencontre aujourd’hui incontournable entre la
psychologie bouddhiste – 2500 ans d’études phénoménologiques de
l’esprit, validées chaque jour un peu plus par la communauté
scientifique – et les thérapies occidentales. Née en 1953 dans le New
Jersey, mariée et mère d’un enfant, elle vit aujourd’hui en Virginie, à
quelque encablures de Washington, où elle a fondé l’
Insight Meditation Community.
Tara Brach y dirige de nombreuses retraites de méditation et de
sessions hebdomadaires. Elle a développé un travail de pointe pour
accompagner les patients victimes d’addictions et les aider à retrouver
une véritable estime d’eux.
Succès éditorial aux États-Unis depuis sa publication en 2003, son premier livre
L’Acceptation radicale (Belfond, 2015) qui développe son approche méditative et thérapeutique,
est désormais disponible en France. L’occasion pour Tara Brach de venir
pour la première fois à Paris, invitée par l’ADM (Association pour le
développement de la
mindfulness) pour une conférence et
un atelier de pratique. Rencontre avec une femme de cœur.
Qu’est-ce qui vous décidé à écrire un ouvrage aussi
conséquent (464 pages) sur la méditation ?
Il ne m’est pas facile d’écrire, je travaille dur pour cela,
ça ne vient pas naturellement. Mais c’est devenu une nécessité quand j’ai
réalisé, il y a une vingtaine d’années, à quel point je me jugeais
sévèrement, à quel point je n’étais pas une amie pour moi-même. À
l’époque, je méditais dans un
ashram implanté aux États-Unis
et rien de ce que je faisais n’était assez bien, assez juste, assez
spirituel à mes yeux !... Quand j’étais plus jeune, je me souviens que
ma prière quotidienne était :
« Ô Dieu, jusqu’à présent je m’en suis bien sortie,
j’ai été une brave fille, j’ai évité les ragots, j’ai
évité d’être désagréable, de dire ou de penser trop de mal de moi. Mais,
dans quelques minutes, je vais sortir de mon lit et alors je vais avoir
besoin de beaucoup beaucoup d’aide ! » Il y a quelques années,
je suis entrée dans une spirale de problèmes de santé et, là encore,
comme si la maladie ne suffisait pas, je m’entendais dire à moi-même :
« Tu n’assures pas, tu n’es pas une bonne personne spirituelle,
tu n’es même pas une bonne malade ! » C’en était trop.
J’ai compris que si je n’entrais pas sérieusement en rapport avec
cette dépréciation récurrente, je ne pourrais jamais m’en sortir.
Cette conviction de ne pas être à la hauteur est la maladie de
notre monde contemporain. Nous vivons, pour la plupart d’entre nous,
sous l’emprise d’un sentiment dépressif latent. J’ai écrit ce livre car
je connais cela par cœur ! J’étais tellement dans l’autocritique… Cette
attitude empêche toute intimité réelle avec l’autre, elle nous empêche
de faire confiance aux autres, elle nous empêche d’être créatif, de
prendre des risques… Et voilà ce qui nous pousse bien souvent aux
addictions à l’alcool, à la nourriture, à la télévision, aux drogues...
autant de moyens qui nous permettent de nous anesthésier face à ce
terrible sentiment d’échec de ne pas être à la hauteur.
Expliquez-nous ce chemin de guérison que vous nommez
« l’acceptation radicale ».
L’acceptation radicale est l’indispensable antidote aux années passées
à nous négliger, à nous traiter si sévèrement et, ce faisant, à
rejeter l’expérience du moment présent par peur d’avoir honte de soi.
L’acceptation radicale est un moment de pure liberté. C’est la décision
de faire – telle qu’elle est – l’expérience de ce que nous sommes,
l’expérience de notre vie. Accepter ne veut pas dire approuver tout et
n’importe quoi : cela veut dire reconnaître ce qui est là, maintenant.
Vous savez, refuser le réel est tout à fait toxique. Et ce n’est pas une
attitude viable. L’acceptation radicale consiste en l’établissement
d’une attention en deux étapes. Ces deux étapes sont les deux ailes d’un
même oiseau.
Le premier temps consiste à faire une pause pour entrer en rapport avec
ce qui arrive. Cette pause est importante, elle est même sacrée, car la
peur de vivre – cette peur qui nous dit qu’il y a quelque chose de
mauvais en nous – nous maintient dans l’affairement et l’agitation.
Pause. Qu’est-ce qui se passe, là, maintenant ? Comment puis-je rester
avec cela ? Quoi qu’il arrive, nous prenons vraiment le temps de
reconnaître et de goûter avec précision ce qui se passe, ce que nous
ressentons, les effets des événements sur nous, nos sensations
corporelles, nos gênes, nos troubles…
Puis, au lieu d’entrer dans les stratégies habituelles de jugement, de
mépris ou de rejet, nous accueillons ces inconforts et ces douleurs avec
compassion. Pour cela, nous ouvrons notre cœur en pensant à quelqu’un
que nous aimons. Cela peut être notre mère, un ami, ou notre chien
adoré !
Ce sont les deux ailes de la pratique de l’acceptation radicale : l’attention
et la compassion.
Qu’appelez-vous la pause sacrée ?
Nous sommes sans arrêt en train de penser à la prochaine chose que
nous allons dire, faire ou demander. Nous nous faisons du souci à propos
de ce qui pourrait arriver… Mais nous pouvons stopper ce processus de
fuite en avant, simplement en apprenant à faire une pause et en prenant
le temps de porter une attention douce et bienveillante à ce qui se
passe en nous, à ce que nous ressentons. Cela nous apprend à
synchroniser notre corps et notre esprit plutôt qu’à subir la
dissociation artificielle que nous entretenons. Cette pause est cruciale
pour briser le fil de nos stratégies habituelles de jugement,
d’autocritique, de fuite… Et elle nous confronte à la question :
« Qu’est-ce que nous ne sommes pas prêt à ressentir ? »
Bien souvent, ce que nous ne sommes pas prêts à ressentir est à la
mesure de ce que nous ne sommes pas prêts à pardonner… Et là, la
compassion entre en jeu. Cette pause est sacrée car, en nous
reconnectant à notre vie, à notre corps, à notre cœur, elle ouvre la
possibilité d’un véritable éveil spirituel.
Et concrètement, comment fait-on ?
Au moment où une émotion forte arrive (colère, angoisse, peur, tristesse,
panique, sentiment d’être blessé…), au lieu de fuir ou de
faire semblant qu’il ne se passe rien ou – pire – de la retourner contre
nous, nous la remarquons, nous la nommons. Nous faisons une pause pour
accueillir cette émotion et voir précisément ce qu’elle provoque en
nous, très physiquement, très concrètement. Ce qui nous importe alors
n’est pas de savoir si cette émotion est juste, si nous avons tort ou
raison, ou d’expliquer pourquoi cette émotion nous submerge. Il s’agit
plutôt de l’observer, de la décortiquer, de voir comment elle agit en
nous. Nous la regardons, nous la nommons et nous lui disons
« oui ».
C’est pour ça que la méditation est loin d’être confortable ! Cette
pause nous entraîne à nous ouvrir à ce qui est plutôt que de nous fermer
par réflexe. Nous l’accueillons avec une véritable amitié, une
véritable tendresse et ça c’est la deuxième aile de la pratique : la
compassion. C’est l’aile du oui.
Vous parlez d’ailleurs dans votre livre de la méditation du « oui ».
Pouvez-vous nous l’expliquer ?
Oui,
« The yes meditation » ! Au début, cela peut paraître très mécanique,
de dire oui à ce qui arrive, à ce qui nous arrive, à ce
que nous ressentons. Oui. C’est un peu forcé. Puis, cela devient
amusant, car de l’espace surgit. Nous laissons la place à davantage
d’espace autour de nos soucis, de nos jugements, de nos émotions. Dire
non crée toujours un problème. Alors que le oui crée de l’espace pour
que la vie se manifeste. En disant oui, nous remarquons combien le
présent se déploie quand il n’y a plus rien à combattre. Nous remarquons
ce qui arrive, puis nous disons oui. Dire oui nous familiarise avec cet
espace qui peut accueillir tout ce qui émerge. Nous apprenons la
confiance en la bonté fondamentale de ce qui se trouve là. Plutôt d’être
sans arrêt tendu, sur le « qui-vive », nous retrouvons du plaisir, de
l’amour et aussi la dimension ludique de l’expérience. Au lieu de
vouloir directement sauver le monde, nous pouvons commencer par créer
une apaisante clairière au cœur de la forêt dense qu’est notre vie.
L’acception radicale est un chemin qui nous ramène à la maison,
maintenant. Nous quittons la maison à chaque fois que nous nous jugeons
et que nous essayons de ressembler à ce que nous attendons de nous ; et
nous oublions alors notre cœur tendre. Si nous vivons dans notre cœur,
nous sommes à la maison.
C’est la première fois que vous venez à Paris, que pensez-vous de cette ville ?
Je l’adore ! C’est incroyable comme tout est beau ici. Je suis frappée par l’architecture,
par les façades d’immeubles et de magasins,
par la Seine. Tout semble très vivant et très ancien en même temps, très
ancré dans une histoire forte. Maintenant que je connais un peu, j’ai
très envie d’y revenir régulièrement !
Extrait de L’Acceptation radicale :
Décider de se pencher vers la peur
et de l’accepter peut sembler paradoxal. Or c’est parce que la peur
est partie intégrante de la vie qu’y résister revient à résister à la vie.
L’habitude de l’évitement s’infiltre dans toutes les dimensions de notre
existence : elle nous empêche d’aimer aussi bien que nous en sommes
capable, elle nous retient d’adorer la beauté qui est en nous
et autour de nous, elle nous défend d’être présent à chaque instant.
C’est pourquoi l’acceptation radicale
de la peur est à l’épicentre de notre éveil spirituel. »